DE MON MOULIN
L’ALMANACH PROVENCAL
Tous les ans, à pareille époque, les poètes provençaux publient à Avignon un joyeux petit almanach rempli jusqu'aux bords de beaux vers et de jolis contes.
L'almanach provençal de cette année m'arrive à l'instant, et j'y trouve un adorable fabliau de José Roumanille, que je vais essayer de traduire pour les lecteurs de l'Évènement.
Ce sera ma lettre de ce jour, et celle-là, - j'en suis sûr, - vous la trouverez de votre goût.
LE SERMON DE M. MARTIN, CURÉ DE CUCUGNAN
I
L'abbé Martin était curé... de Cucugnan.
Bon comme le pain, franc comme l'or, il aimait paternellement ses Cucugnanais ; pour lui, son Cucugnan aurait été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient donné un peu plus de satisfaction. Mais, hélas ! les araignées filaient dans son confessionnal, et le beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint-ciboire. Le bon prêtre en avait le coeur meurtri, et toujours il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant d'avoir ramené au bercail son troupeau dispersé.
Or, vous allez voir que Dieu l'entendit.
Un dimanche après l'Évangile, M. Martin monta en chaire.
II
- Mes frères, dit-il, vous me croirez si vous voulez, l'autre nuit, je me suis trouvé, moi, misérable pêcheur, à la porte du paradis.
Je frappai : saint Pierre m'ouvrit !
- Tiens ! c'est vous, mon brave monsieur Martin, me fit-il. Quel bon vent… et qu'y a-t-il pour votre service ?
- Beau saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et la clé, ne pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux, combien vous avez de Cucugnanais en paradis ?
- Je n'ai rien à vous refuser, monsieur Martin ; asseyez-vous, nous allons voir la chose ensemble.
Et saint Pierre prit son gros livre, l'ouvrit, mit ses besicles :
- Voyons un peu : Cucugnan, disons nous. Cu... Cu... Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan... Mon brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas une âme... Pas plus de Cucugnanais que d'arêtes dans une dinde.
- Comment ! Personne de Cucugnan ici ? Personne ! Ce n'est pas possible ! Regardez mieux...
- Personne, saint homme. Regardez vous-même, si vous croyez que je plaisante.
Moi, pécaïré ! Je frappais des pieds, et, les mains jointes, je criais miséricorde. Alors, saint Pierre :
- Croyez-moi, monsieur Martin, il ne faut pas vous mettre ainsi le cœur à l'envers, car vous pourriez en avoir quelque mauvais coup de sang. Ce n'est pas votre faute après tout. Vos Cucugnanais, voyez-vous, doivent faire à coup sûr leur petite quarantaine en purgatoire.
- Ah ! par charité, grand saint Pierre ! faites que je puisse au moins les voir, les voir et les consoler !
- Volontiers, mon ami !... Tenez, chaussez vite ces sandales, car les chemins ne sont pas beaux de reste... Voilà qui est bien... Maintenant, cheminez, cheminez droit devant vous. Voyez-vous là-bas, au fond, en tournant, vous trouverez une porte d'argent toute constellée de croix noires, à main droite... Vous frapperez, on vous ouvrira... Adessias ! Tenez-vous sain et gaillardet.
III
Et je cheminai... je cheminai ! Quelle battue ! J'ai la chair de poule, rien que d'y songer. Un petit sentier plein de ronces, d'escarboucles qui luisaient et de serpents qui sifflaient, m'amena jusqu'à la porte d'argent.
- Pan ! pan !
- Qui frappe ? me fait une voix rauque et dolente.
- Le curé de Cucugnan.
- De ?...
- De Cucugnan.
- Ah !... Entrez.
J'entrai. Un grand bel ange, avec des ailes sombres comme la nuit, avec une robe resplendissante comme le jour, avec une clé de diamant pendue à sa ceinture, écrivait, cra-cra, dans un grand livre plus gros que celui de saint Pierre...
- Finalement, que voulez-vous et que demandez-vous ! dit l'ange.
- Bel ange de Dieu, je veux savoir, - je suis bien curieux peut-être, - si vous avez ici les Cucugnanais.
- Les ?...
- Les Cucugrianais, les gens de Cucugnan, que c'est moi qui suis leur prieur.
- Ah ! l'abbé Martin, n'est-ce pas ?
- Pour vous servir, monsieur l'ange.
IV
- Vous dites donc Cucugnan...
Et l'ange ouvre et feuillette son grand livre, mouillant son doigt de salive pour que le feuillet glisse mieux...
- Cucugnan ! dit-il, en poussant un long soupir... Monsieur Martin, nous n'avons en purgatoire personne de Cucugnan.
- Jésus ! Marie ! Joseph ! personne de Cucugnan en purgatoire ! ô Dieu ! ô grand Dieu ! où sont-ils donc ?
- Eh ! saint homme, ils sont en paradis ! Où diantre voulez-vous qu'ils soient ?
- Mais, j'en viens du paradis...
- Vous en venez !... Eh bien ?
- Eh bien ! Ils n'y sont pas !... Ah ! bonne mère des anges !...
- Que voulez-vous, monsieur le curé ! s'ils ne sont ni en paradis ni en purgatoire, il n'y a pas de-milieu, ils sont...
- Sainte croix ! Jésus, fils de David ! ai ! ai ! ai ! est-il possible ?... Serait-ce un mensonge du grand saint Pierre ?... Pourtant, je n'ai pas entendu chanter le coq !... Ai ! pauvres nous ! comment irai-je en paradis, si mes Cucugnanais n'y sont pas ?
- Écoutez, mon pauvre monsieur Martin, puisque vous voulez, coûte que coûte, être sûr de tout ceci, et voir de vos yeux de quoi il retourne, prenez ce sentier, filez en courant, si vous savez courir... vous trouverez, à gauche, un grand portail. Là, vous vous renseignerez sur tout. Dieu vous le donne !
Et l'ange ferma la porte.
V
C'était un long sentier tout pavé de braise rouge. Je chancelais comme si j'avais bu ; à chaque pas, je trébuchais ; j'étais tout en eau, chaque poil de mon corps avait sa goutte de sueur, et je haletais de soif. Mais ma foi ! grâce aux sandales que le bon saint Pierre m'avait prêtées, je ne me brûlai pas les pieds.
Quand j'eus fait assez de faux pas clopin-clopant, je vis à main gauche une porte… non, un portail, un énorme portail tout bâillant, comme la gueule d'un grand four. Oh ! mes enfants quel spectacle !... Là on ne demande pas mon nom ; là, point de registre. Par fournées et à pleine porte on entre là, mes frères, comme le dimanche vous entrez au cabaret.
Je suais à grosses gouttes, et pourtant j'étais transi, j'avais le frisson. Mes cheveux se dressaient. Je sentais le brûlé, la chair rôtie, quelque chose comme l'odeur qui se répand dans notre Cucugnan quand Éloy, le maréchal, brûle pour la ferrer, la botte d'un vieil âne ! Je perdais haleine dans cet air puant et embrasé, j'entendais une clameur horrible, des gémissements, des hurlements et des jurements.
- Eh bien ! entres-tu, ou n'entres-tu pas, toi ? me fait, en me piquant de sa fourche, un démon cornu.
- Moi ! Je n'entre pas. Je suis un ami de Dieu !
- Tu es un ami de Dieu !... Eh ! b..... de teigneux ! que viens-tu faire ici ?...
- Je viens… ah ! ne m'en parlez pas, que je ne puis plus me tenir sur mes jambes... Je viens... je viens de loin… humblement vous demander... si... si par coup de hasard… vous n'auriez pas ici... quelqu'un... quelqu'un de Cucugnan !...
- Ah ! feu de Dieu ! Tu fais la bête, toi, comme si tu ne savais pas que tout Cucugnan est ici. Tiens, laid corbeau, regarde, et tu verras comme nous les arrangeons ici, tes fameux Cucugnanais !...
VI
Et je vis, au milieu d'un épouvantable tourbillon de flamme :
Le long Coq-Galine - vous l'avez tous connu, mes frères. Coq-Galine qui se grisait si souvent, et si souvent secouait les puces à sa pauvre Clairon.
Je vis Catarinet... cette petite gueuse... avec son nez en l'air... qui couchait toute seule à la grange... Il vous en souvient, mes drôles !... Mais passons, j'en ai trop dit.
Je vis Pascal Doigt-de-Poix, qui faisait son huile avec les olives de M. Julien.
Je vis Babet la glaneuse, qui, en glanant, pour avoir plus vite noué sa gerbe, puisait à poignée aux gerbiers.
Je vis maître Crapasi, qui huilait si bien la roue de sa brouette.
Et Dauphine, qui vendait si cher l'eau de son puits.
Et le Tortillard, qui, lorsqu'il me rencontrait portant le bon Dieu, filait son chemin, la barrette sur la tête et la pipe au bec... et fier comme Artaban... comme s'il avait rencontré un chien.
Et Coulan avec sa Zette, et Jacques, et Pierre, et Toni...
VII
Ému, blême de peur, l'auditoire gémit, et voyant, dans l'enfer tout ouvert, qui son père et qui sa mère, qui sa grand et qui sa soeur...
- Vous sentez bien, mes frères, reprit le bon abbé Martin, vous sentez bien que ceci ne peut pas durer. J'ai charge d'âmes, et je veux, je veux vous sauver de l'abîme où vous êtes tous en train de rouler tête première. Demain je me mets à l'ouvrage, pas plus tard que demain. Et l'ouvrage ne manquera pas! Voici comment je m'y prendrai. Pour que tout se fasse bien, il faut tout faire avec ordre. Nous irons rang par rang, comme à Jonquières quand on danse.
Demain, lundi, je confesserai les vieux et les vieilles. Cela n'est rien.
Mardi, les enfants. J'aurai bientôt fait.
Mercredi, les garçons et les filles. Cela pourra être long.
Jeudi, les hommes. Nous couperons court.
Vendredi, les femmes. Je dirai : pas d'histoires.
Le samedi, le meunier !... Ce n'est pas trop d'un jour pour lui tout seul...
Et, si dimanche nous avons fini, nous serons bien heureux.
Voyez-vous, mes enfants, quand le blé est mûr, il faut le couper ; quand le vin est tiré, il faut le boire. Voilà assez de linge sale, il s'agit de le laver et de le bien laver.
C'est la grâce que je vous souhaite : Amen !
VIII
Ce qui fut dit fut fait. On coula la lessive.
Depuis ce dimanche mémorable, le parfum des vertus de Cucugnan se respire à dix lieues à l'entour.
Et le bon pasteur M. Martin, heureux et plein d'allégresse, a rêvé, l'autre nuit, que, suivi de tout son troupeau, il gravissait en resplendissante procession, au milieu des cierges allumés, d'un nuage d'encens qui embaumait, et des enfants de chœur qui chantaient Te Deum, le chemin étoilé de la cité de Dieu.
Et voilà l'histoire du curé de Cucugnan, telle que m'a ordonné de vous la dire ce grand gueusard de Roumanille.
ALPHONSE DAUDET.
Ce fut un événement dans Munich. on n'y avait pas encore vu de pendule de Bougival, et chacun venait regarder celle-là aussi curieusement que les coquilles japonaises du musée de Siebold. Devant le magasin d'Augustus Cahn, trois rangs de grosses pipes fumaient du matin au soir, et le bon populaire de Munich se demandait avec des yeux ronds et des Mein Gott de stupéfaction à quoi pouvait servir cette singulière petite machine. Les journaux illustrés donnèrent sa reproduction. Ses photographies s'étalèrent dans toutes les vitrines ; et c'est en son honneur que l'illustre docteur-professeur Otto de Schwanthaler composa son fameux Paradoxe sur les Pendules, étude philosophico-humoristique en six cents pages, où il est traité de l'influence des pendules sur la vie des peuples et logiquement démontré qu'une nation assez folle pour régler l'emploi de son temps sur des chronomètres aussi détraqués que cette petite pendule de Bougival devait s'attendre à toutes les catastrophes, ainsi qu'un navire qui s'en irait en mer avec une boussole désorientée. (La phrase est un peu longue, mais je la traduis textuellement.) Les Allemands ne faisant rien à la légère, l'illustre docteur-professeur voulut, avant d'écrire son Paradoxe, avoir le sujet sous les yeux pour l'étudier à fond, l'analyser minutieusement comme un entomologiste ; il acheta donc la pendule, et c'est ainsi qu'elle passa de la devanture d'Augustus Cahn dans le salon de l'illustre docteur-professeur Otto de Schwanthaler, conservateur de la Pinacothèque, membre de l'Académie des sciences et beaux-arts, en son domicile privé, Ludwigstrasse, 24.
Ce qui frappait d'abord en entrant dans le salon des Schwanthaler, académique et solennel comme une salle de conférences, c'était une grande pendule à sujet en marbre sévère, avec une Polymnie de bronze et des rouages très compliqués. Le cadran principal s'entourait de cadrans plus petits, et l'on avait là les heures, les minutes, les saisons, les équinoxes, tout, jusqu'aux transformations de la lune dans un nuage bleu clair au milieu du socle.
Le bruit de cette puissante machine remplissait toute la maison. Du bas de l'escalier, on entendait le lourd balancier s'en allant d'un mouvement grave, accentué, qui semblait couler et mesurer la vie en petits morceaux tout pareils ; sous ce tic-tac sonore couraient les trépidations de l'aiguille se démenant dans le cadre des secondes avec la fièvre laborieuse d'une araignée qui connaît le prix du temps.
Puis l'heure sonnait, sinistre, et lente comme une horloge de collège, et chaque fois que l'heure sonnait, il se passait quelque chose dans la maison des Schwanthaler. C'était M. Schwanthaler qui s'en allait à la Pinacothèque, chargé de paperasses, ou la haute dame de Schwanthaler revenant du sermon avec ses trois demoiselles, trois longues filles enguirlandées qui avaient l'air de perches à houblon ; ou. bien les leçons de cithare, de danse, de gymnastique, les clavecins qu'on ouvrait, les métiers à broderies, les pupitres à musique d'ensemble qu'on roulait au milieu du salon, bout cela si bien réglé, si compassé, si méthodique, que d'entendre tous ces Schwanthaler se mettre en branle au premier coup de timbre, entrer, sortir par les portes ouvertes à deux battants, on songeait au défilé des apôtres dans l'horloge de Strasbourg, et l'on s'attendait toujours à voir sur le dernier coup la famille Schwanthaler rentrer et disparaître dans sa pendule.
C'est à côté de ce monument qu'on avait mis la pendule de Bougival, et vous voyez d'ici l'effet de sa petite mine chiffonnée. voilà qu'un soir les dames de Schwanthaler étaient en train de broder dans le grand salon et l'illustre docteur-professeur lisait à quelques collègues de l'Académie des sciences les premières pages du Paradoxe, s'interrompant de temps en temps pour prendre la petite pendule et faire pour ainsi dire dés démonstrations au tableau... Tout à coup, Eva de Schwanthaler, poussée par je ne sais quelle curiosité maudite, dit à son père en rougissant :
“ ô papa, faites-la sonner. ” Le docteur dénouant la clef, donna deux tours, et aussitôt on entendit un petit timbre de cristal si clair, si vif, qu'un frémissement de gaieté réveilla la grave assemblée. Il y eut des rayons dans tous les yeux :
“ Que c'est joli! que c'est joli ! ” disaient les demoiselles de Schwanthaler, avec un petit air animé et des frétillements de natte qu'on ne leur connaissait pas, Alors M. de Schwanthaler, d'une voix triomphante :
“ Regardez-la, cette folle de française ! elle sonne huit heures, et elle en marque trois ! ”
Cela fit beaucoup rire tout le monde, et, malgré l'heure avancée, ces messieurs se lancèrent à corps perdu dans des théories philosophiques et des considérations interminables sur la légèreté du peuple français. Personne ne pensait plus à s'en aller, on n'entendit même pas sonner au cadran de Polymnie ce terrible coup de dix heures qui dispersait d'ordinaire toute la société. La grande pendule n'y comprenait rien. Elle n'avait jamais tant vu de gaieté dans la maison Schwanthaler, ni du monde au salon si tard. Le diable c'est que lorsque les demoiselles de Schwanthaler furent rentrées dans leur chambre, elles se sentirent l'estomac creusé par la veille et le rire, comme des envies de souper ; et la sentimentale Minna, elle-même, disait en s'étirant les bras :
“ Ah ! je mangerais bien une patte de homard. ”
Une fois remontée, la pendule de Bougival reprit sa vie déréglée, ses habitudes de dissipation. on avait commencé par rire de ses lubies ; mais, peu à peu, à force d'entendre ce joli timbre qui sonnait à tort et à travers, la grave maison de Schwanthaler perdit le respect du temps et prit les jours avec une aimable insouciance. on ne songea plus qu'à s'amuser ; la vie paraissait si courte, maintenant que toutes les heures étaient confondues ! Ce fut un bouleversement général. Plus de sermon, plus d'études ! Un besoin de bruit, d'agitation. Mendelssohn et Schumann semblèrent trop monotones : on les remplaça par la Grande-Duchesse, le Petit Fausti, et ces demoiselles tapaient, sautaient, et l'illustre docteur-professeur, pris lui aussi d'une sorte de vertige, ne se lassait pas de dire :
“ De la gaieté, mes enfants, de la gaieté !... ”
Quant à la grande horloge, il n'en fut plus question. Ces demoiselles avaient arrêté le balancier, prétextant qu'il les empêchait de dormir, et la maison s'en alla toute au caprice du cadran désheuré.
C'est alors que parut le fameux Paradoxe sur les Pendules. A cette occasion, les Schwanthaler donnèrent une grande soirée, non plus une de leurs soirées académiques d"autrefois, sobres de lumières et de bruit, mais un magnifique bal travesti, où Mme de Schwanthaler et ses filles parurent en canotières de Bougival, les bras nus, la jupe courte, et le petit chapeau plat à rubans éclatants, Toute la ville en parla, mais ce n'était que le commencement. La comédie, les tableaux vivants, les soupers, le baccara : voilà ce que Munich scandalisé vit défiler tout un hiver dans le salon de l'académicien.
“ De la gaieté, mes enfants, de la gaieté !... ” répétait le pauvre bonhomme de plus en plus affolé.
Et tout ce monde-là était très gai en effet.
Mme de Schwanthaler, mise en goût par ses succès de canotière, passait sa vie sur l'Isar en costumes extravagants. Ces demoiselles, restées seules au logis, prenaient des leçons de français avec des officiers de hussards prisonniers dans la ville; et la petite pendule, qui avait toutes raisons de se croire encore à Bougival, jetait les heures à la volée, en sonnant toujours huit quand elle en marquait trois... Puis, un matin, ce tourbillon de gaieté folle emporta la famille Schwanthaler en Amérique, et les plus beaux Titien de la Pinacothèque suivirent dans sa fuite leur illustre conservateur.
Après le départ des Schwanthaler, il y eut dans Munich comme une épidémie de scandales. On vit successivement une chanoinesse enlever un baryton, le doyen de l'Institut épouser une danseuse, un conseiller aulique faire sauter la coupe, le couvent des dames nobles fermé pour tapage nocturne...
ô malice des choses ! Il semblait que cette petite pendule était fée et qu'elle avait pris à tâche d'ensorceler toute la Bavière. Partout où elle passait, partout où elle sonnait son joli timbre à l'évent, il affolait, détraquait les cervelles. Un jour, d'étape en étape, elle arriva jusqu'à la résidence; et depuis lors, savez-vous quelle partition le roi Louis, ce wagnérien enragé, a toujours ouverte sur son piano ?...
Les Maîtres chanteurs ?
Non !... Le Phoque à ventre blanc !
Ça leur apprendra à se servir de nos pendules.