C'était une pendule du Second Empire, une de ces pendules en onyx algérien, ornées de dessins Campana, qu'on achète boulevard des Italiens, avec leur clef dorée pendue en sautoir au bout d'un ruban rose. Tout ce qu'il y a de plus mignon, de plus moderne, de plus article de Paris. Une vraie pendule des Bouffes, sonnant d'un joli timbre clair, mais sans un grain de bon sens, pleine de lubies, de caprices, marquant les heures à la diable, passant les demies, n'ayant jamais su bien dire que l'heure de la Bourse à monsieur et l'heure du berger à madame. Quand la guerre éclata, elle était en villégiature à Bougival, faite exprès pour ces palais d'été si fragiles, ces jolies cages à mouches en papier découpé, ces mobiliers d'une saison, guipure et mousseline flottant sur des transparents de soie claire. A l'arrivée des Bavarois, elle fut une des premières enlevées ; et, ma foi ! il faut avouer que ces gens d'outre-Rhin sont des emballeurs bien habiles, car cette pendule-joujou, guère plus grosse qu'un oeuf de tourterelle, put faire au milieu des canons Krupp et des fourgons chargés de mitraille le voyage de Bougival à Munich, arriver sans une fêlure, et se montrer dès le lendemain, Odeon-Platz, à la devanture d'Augustus Cahn, le marchand de curiosités, fraîche, coquette, ayant toujours ses deux fines aiguilles, noires et recourbées comme des cils, et sa petite clef en sautoir au bout d'un ruban neuf.